Je m'étais préparée à écrire un article sur les bienfaits de l'art dans l'accompagnement des personnes en fin de vie. Et voilà qu'à la fin du module actuel de ma formation de thanadoula palliatérapeute sur les stratégies d'apaisement, la surprise est au rendez-vous ! Claudine Jean, formatrice à l'Ecole Internationale d'accompagnement Cybèle nous propose comme devoir de validation d'écrire un article de blog. Claudine est la fondatrice de l'approche Thana-Douceur, stratégie d'apaisement par le toucher et le massage.
Je suis vraiment heureuse de sa proposition car même si le toucher fait partie intégrante de mon accompagnement de thérapeute et de thanadoula palliathérapeute, je n'aurais pas forcément eu l'idée de vous en parler. En tout cas, pas maintenant c'est sûr !
L'écriture de cet article de blog me ramène en 2014, quelques années après le début de mon activité d'accompagnement thérapeutique. Je découvrais à cette époque le corps, ce corps avec lequel j'avais tant été en conflit. Les stages de formation en psychothérapie, les stages divers de rencontre de soi m'ouvraient les portes de la communication avec lui et surtout me montraient sa puissance, son intelligence et son importance. Je me rappelle de ce livre qui m'avait tellement touchée. Ah surprenant non ?! Son titre « Du massage bien-être au toucher sacré » d'Isabelle Métais Guyader, 2013, Editions Essenia, p. 303. Je pense aussi à l'instant à cet autre ouvrage qui a été si précieux « La voix du sentir » de Luis Ansa et Robert Eymeri, 2015, Editions Le Relié, p. 503. Quelle joie d'y revenir et de penser à ce que j'ai ressenti en les parcourant. Ils avaient alors éveillé ma curiosité sur cette notion, aujourd'hui médiatisée, du bien-être. Et comment parvenir à cette sensation agréable où les soucis n'ont pas de place.
Comment veiller au bien-être d'une personne en fin de vie ?
Il peut paraître à certains antinomique ou illusoire d'associer bien-être et fin de vie. En effet, comment ne pas être dans le souci et l'inconfort quand nous savons que ce chemin que nous foulons est celui de la fin de notre vie. Vous me direz que c'est le cas pour chacun de nous en quelque sorte, oui mais là, je parle d'une situation où l'annonce a été faite, où il est bien plus difficile de nier la réalité vécue.
Ceci étant, il n'y a pas de mal à se faire du bien, alors pourquoi attendre ?!
Il est précieux d'observer, de communiquer et de déterminer les espaces de bien-être accessibles à la personne en fin de vie. Il est important de veiller à les maintenir présents et accueillants. Il est indispensable qu'ils soient en accord avec les capacités physiques et psychologiques de la personne accompagnée. Ces espaces de bien-être peuvent être divers et trouver place dans différents domaines. Cela peut aller de plaisirs simples de la vie -alimentation, visites, balades, repos- à des activités plus spécifiques -méditation, art, massages etc.-.
Ici nous aborderons comment le toucher peut veiller au bien-être d'une personne en fin de vie. Et de ne pas oublier que pour veiller au bien-être d'un personne en fin de vie, il est primordial que son entourage, notamment les proches aidants et les professionnels présents à ses côtés veillent à leur propre bien-être. C'est un des facteurs essentiels au maintien du bien-être du mourant.
Cet article s'adresse de ce fait tout aussi bien aux personnes en fin de vie qu'à leur entourage aidant, aux professionnels de l'accompagnement et à tout un chacun.
Le toucher, stratégie d'apaisement
Si je reviens à la base, le nom « toucher » est défini comme le sens qui permet de connaître par le contact.
Ici nous parlons du contact physique avec une personne et d'établir une relation non verbale. Ceci est possible dans la mesure d'une présence de qualité, d'une observation active et d'une capacité d'adaptation permettant de répondre aux demandes silencieuses. J'y reviendrai.
Plusieurs approches peuvent être proposées : l'imposition des mains ou le massage. Les deux propositions peuvent être associées. Généralement d'ailleurs l'imposition des mains autrement appelée toucher d'apprivoisement se fait en début et en fin de massage.
Quel que soit le choix du médium utilisé et de la technique employée : imposition des mains, massage des mains ou des oreilles, l'objectif reste le même. Le toucher au service de la détente du receveur, au soulagement physique, moral et à l'apaisement émotionnel.
« Masser c'est prendre soin, prendre soin c'est soutenir, s'occuper, encadrer, c'est accepter l'autre sans conditions, sans aucun jugement. » - I. Métais Guyader
Cette citation se pose comme une parfaite transition avec la suite de cet article de blog.
Un toucher respectueux, un toucher sacré
Pour parler de ma vision du toucher respectueux, je vais reprendre déjà ce qui permet à la relation non verbale de prendre corps. A ce sujet, je parlais de présence de qualité, d'observation active et de capacité d'adaptation.
Je définirais la notion de sacré comme « être digne d'un respect absolu ». C'est à propos !
Pour moi, l'espace s'ouvre au respect de soi et de l'autre.
La présence de qualité demande une rencontre avec soi avant le toucher et le contact avec la personne prête à recevoir l'imposition des mains ou le massage. Il est préférable donc de prendre du temps pour soi afin de se rendre disponible à la rencontre. De prendre ce temps pour se ramener dans le « ici et maintenant » en s'ancrant solidement dans son corps, dans sa respiration. Et d'amener le calme en soi, de se relaxer. En effet, le premier contact, le toucher d'apprivoisement permet d'induire chez l'autre le relâchement vécu en soi. Alors pourquoi ne pas se les appliquer. Ces techniques de relaxation et de retour à soi -méditation, sophrologie, écoute d'une musique…- favorisent une présence neutre et impersonnelle, une stabilité, un équilibre.
L'observation active permet une fixation de cette présence. Elle laisse place, si besoin est, à une adaptabilité fine et à une réponse douce aux demandes silencieuses. Ces demandes sont exprimées par la respiration du receveur, les crispations de son visage ou de son corps… Il convient alors de modifier le rythme du massage, l'intensité de la pression du toucher, de proposer un changement de position (allongé ou assis, parfois debout pour l'imposition de mains).
Cette rencontre se vit pour moi comme une cocréation. C'est pour cela que l'observation se fait sur mon propre corps et mes propres ressentis. Vérifier que ma posture reste équilibrée, ne génère pas de tensions. Pour cela, je reste attentive à ce que mes pieds restent bien à plat au sol, à ce que mes mouvements restent fluides. Le massage est une danse, ce ne sont pas que les mains qui massent mais tout le corps, pour cela c'est tout le bassin et le poids du corps qui s'engagent, vont-et-viennent.
On l'oublie souvent mais le respect se pose également dans des gestes de base comme se laver les mains avant et après le toucher, chauffer ses mains pour un contact plus doux et agréable.
Dans l'accompagnement d'une personne en fin de vie, il faut prendre en compte le rapport à l'odorat et parfois la fragilité de la peau. Important alors de choisir une huile végétale de qualité, sans parfum de préférence pour ne pas incommoder.
Le toucher mis en œuvre se consacre à donner l'occasion à la personne en fin de vie de se laisser aller en toute confiance. Il se pare alors de délicatesse, de lenteur, de profondeur, de douceur et de calme.
Chaque étape du massage, des mains juste posées aux frictions en passant par l'effleurage et le foulage, amène des bienfaits pour la personne en fin de vie.
Les bienfaits du toucher pour les personnes en fin de vie
« Le massage est l'une des plus anciennes formes de thérapie populaire utilisée depuis toujours pour soigner corps et esprit. Des milliers d'années durant, une forme ou une autre de massage ou d'imposition des mains a été utilisée pour soutenir, soulager et guérir. » - I. Métais Guyader
Le toucher est précieux dans l'accompagnement de la fin de vie. Pourquoi ? Parce qu'il permet au mourant de se réconcilier, ne serait-ce qu'un instant avec son corps. Ce corps qu'il croit, souvent porteur d'une seule promesse, celle de la mort et d'un seul chemin, celui de la souffrance.
Le toucher comme cet espace sacré où se vivre en paix.
L'immobilité invitée, le calme retrouvé font tomber le voile de l'illusion. Ils contribuent à prendre conscience que malgré les incapacités nouvelles, ce chemin engagé, la vie est bel et bien toujours là. Le toucher ouvre à une lecture nouvelle de soi, celle qui se fait par les sensations, les impressions, les ressentis. La considération de ces sensations permet, elle de percevoir la respiration comme un mouvement permanent du corps, comme un échange continu entre l'intérieur et l'extérieur, comme le témoin que la vie nous habite encore.
Il est évident alors que cela joue sur le sentiment d'isolement que peut ressentir une personne en fin de vie, cette coupure parfois ressentie avec le monde extérieur. Un impact aussi sur la croyance quelque fois installée du « je suis déjà mort ».
Le fait de faire la paix est également touchant et décisif dans le maintien de l'espoir indispensable pour avancer encore et encore. Je ne parle pas là d'un espoir de guérison mais bien de ces lueurs éclairant la possibilité de vivre une journée voire quelques heures sans avoir mal, sans s'inquiéter, sans avoir peur… être bien dans son corps et dans sa tête… goûter au répit !
Il y a tant de bienfaits que peut apporter un toucher respectueux, posé avec humilité et sincérité. Voilà ce qu'il offre à vivre à une personne en fin de vie : sentir son corps pour ne pas oublier qu'elle est vivante, l'amener à prendre soin d'elle-même, lui permettre de se relaxer, d'apaiser les tourments physiques et émotionnels, réduire le stress ressenti, les tensions musculaires et aussi améliorer le tonus dans son corps.
Il concourt à renforcer un sentiment d'amour et la capacité à pouvoir le recevoir, à ramener une confiance dans le toucher parfois perdue suite à des soins répétés et à des manipulations physiques obligatoires, à améliorer la qualité du sommeil.
Un toucher doux et attentionné l'amène à se sentir considérée, reconnue dans ce qu'elle vit, écoutée et peut-être même avoir une influence sur son estime d'elle-même.
C'est très souvent dans l'observation active dont nous avons parlée que nous percevons tout ce que la personne en fin de vie a pu accueillir, tout ce dont elle s'est nourrie. Un visage détendu, un sourire léger ou encore quelques larmes viennent témoigner de l'émotion à recevoir tant de douceur et d'attention. Ces larmes surprenantes pour certains viennent ancrer la libération des tensions, une libération vécue sans peur, sans gêne, sans retenue.
Ces larmes sans souffrance qui coulent librement, naturellement sans même qu'on puisse leur donner de sens sont le signe d'une autorégulation du métabolisme. En effet, pleurer stimule l'élimination d'hormones de stress (contenues dans les larmes) et favorise la sécrétion d'hormones de détente.
La place faite aux sensations invite à une présence à soi-même. Dans la fin de vie, cette présence à soi est mise à rude épreuve. Alors même sans parler de massage, poser sa main sur celle de l'autre, avec son consentement bien sûr suffit à le ramener à la sensation du contact qui induit… « je ne suis pas seul » et tant d'autres choses comme nous avons pu le voir tout au long de cet article de blog.
Parce qu'un contact suffit pour se rencontrer…
La place du toucher dans mon accompagnement professionnel
J'aborde ce dernier paragraphe sur la place du toucher dans mon accompagnement professionnel, et comme souvent quand j'écris mes articles, je souris. J'allais vous parler à nouveau de 2014 mais cela a fait remonter un souvenir de mon adolescence. A l'époque, j'avais le désir et le projet de devenir kinésithérapeute. Ce qui m'attirait le plus dans ce domaine : masser ! La vie m'a entraînée sur des chemins de traverse et en 2014, suite à un stage sur le corps en psychothérapie et un stage chamanique sur le souffle de vie, j'intégrai le massage à ma pratique. Puis rapidement, ce fût l'imposition des mains qui prit sa place. Depuis c'est ainsi que le toucher accompagne mes séances.
Pour moi, le toucher c'est aussi la présence dans la matière. C'est en cela qu'il est inestimable dans l'accompagnement des personnes en fin de vie. C'est le témoignage de la présence de l'autre, c'est la preuve de sa propre présence vivante dans son corps.
A mon sens, la technique choisie n'est que le support au savoir être. C'est peut-être la nuance à apporter dans l'accompagnement d'une personne en fin de vie, une nuance qui éclaire tout particulièrement l'accompagnement proposé par une thanadoula palliathérapeute :
Le savoir être avant le savoir-faire.
Et c'est dans une empathie mature, synonyme d'équilibre entre une compréhension compatissante et un détachement de la situation que j'observe l'autre dans ses sentiments, ses émotions, ses fonctionnements, ses envies. C'est dans l'espace créé par ce détachement que prend place la chaleur humaine, ma chaleur humaine. C'est elle qui réchauffe cet espace où peuvent prendre corps confiance, sécurité, apaisement, abandon… de là, naît la relation, le lien sacré indispensable à des bienfaits durables.
A ma place dans ma vie…
« Dans l'amour, il n'y a ni effort, ni sacrifice, ni larmes, ni gravité, ni extraordinaire, ni transcendance. L'amour est l'amour. Simple, simple ! Il se passe d'attribut. » - Luis Ansa
** Crédit photos - Or-photographie - WE Thana (blog)
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